Comme je l'interrogeais sur les méthodes traditionnelles de distillation des fleurs de l'Oranger amer (le Néroli...!), Souad m'a adressé ce témoignage, un voyage sensoriel, un voyage vers l'enfance aussi, un vrai cadeau que je m'empresse de partager avec vous. J'en profite pour la remercier encore chaleureusement.
Bonjour,
Pour répondre à votre question, j’ai parlé à ma mère hier qui m’a un peu expliqué comment elle procédait. En effet, elle fait une extraction de l’hydrolat par distillation avec un « alambic », ces ustensiles se vendent toujours dans nos marchés traditionnelles. Il en existe en cuivre, mais ils sont plus onéreux, et rares sont les maîtres artisans qui en fabriquent encore.
Il est composé de trois parties :
Une chaudière où on met l’eau.
Un chapiteau arabe où on met les fleurs et muni d’un tube descendant.
Un récipient réfrigérant.
A l’arrivée du printemps, elle prenait soin de cueillir elle-même les fleurs de l’orange amère, ou larange, elle n’aime pas les acheter, car elle disait que certains commerçants peu scrupuleux les mélangeaient avec celles de l’orange douce, car selon elle, une bonne maa zhar « eau de fleur » doit être faite uniquement avec les fleurs de l’orange amère, en effets ces derniers dégagent un parfum et un goût que rien ne peut égaler.
Ensuite elle les étalait dans un linge propre à l’ombre et à température moyenne, pendant trois jours. Après, elle commence l’opération de distillation. En principe elle met de l’eau à bouillir en bas, les fleurs dans le chapiteau, et l’eau froide dans le récipient réfrigérant, il faut prendre soin de changer cette eau dès qu’elle chauffe.
La première bouteille ou la première goutte comme on dit chez nous, ou encore rass el kattar (la tête de l’alambic) est souvent très concentrée, et son parfum est plus fort que les autres qui vont suivre.
Je me rappelle qu'à l’époque, ces jours-ci de distillation le parfum doux de « maa zhar » embaume toute notre maison, on peut même le sentir plus loin, à deux ou trois maison de chez nous, car cet hydrolat n’a rien à avoir avec celui du commerce.
Concernant les quantités, je ne peux pas vous être d’une grande utilité, seule une bonne maître kettara, peut juger à quel moment faut-il arrêter, et elle seule peut mettre beaucoup ou moins de fleurs et classer ses bouteilles selon le degré de concentration qu’elle cherche, ces informations elles les connaissent, rien qu'en supervisant l’opération.
Dans les villes impériales du Maroc comme Marrakech ou Fès, beaucoup de avaient l’habitude d’en faire chaque année. En plus on n’imagine pas une cérémonie de mariage ou circoncision ou fête religieuse sans maa zhar, on le met dans des mrichates, sorte de petits flacons en argents perforées en haut pour asperger les invités avec.
Un tifour de mrichates prêtes pour asperger les invités
Voilà, j’espère que j’ai pu répondre à votre question, et rendre un peu hommage à certaines bonnes traditions de ma ville natale Marrakech, mais qui, malheureusement commencent à disparaître, bien que beaucoup de parents aimeraient transmettre ces arts à leurs enfants.
Vous venez de me donner une idée, le printemps prochain, je vais dégager quelques jours pour aller chez ma mère -on n’habite plus dans la même ville- et nous allons essayer de faire ensemble une distillation de maa zhar.
Souad